Login

Un levier pour décarboner les engrais

La disponibilité en engrais bas carbone est très limitée pour le moment.

Des projets d’hydrogène bas carbone pour la fabrication d’engrais émergent en Europe et en France. Les volumes produits restent à ce jour faibles et onéreux.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Les engrais fabriqués à partir d’hydrogène et d’ammoniac décarbonés sont des ammonitrates. Depuis quelques années, le norvégien Yara en a fait une diversification de ses activités. L’entreprise utilise d’une part de l’énergie renouvelable (hydroélectricité, éolien, photovoltaïque) pour obtenir l’hydrogène vert par électrolyse de l’eau, ce qui permet de remplacer le gaz naturel. Son plus gros projet est en Norvège, où une usine d’hydrogène renouvelable a été inaugurée en juin 2024.

Une diversification pour Yara

Les engrais fabriqués à partir d’hydrogène et donc d’ammoniac décarbonés sont des ammonitrates, forme minérale qui n’a pas de molécule de carbone dans sa formule (NH4NO3). Depuis quelques années, le Norvégien Yara en a fait une diversification de ses activités. La gamme proposée s’étend du CAN27 à l’ammonitrate 33,5 %, en passant par les gradients avec soufre ou magnésie.

L’entreprise s’appuie sur plusieurs technologies. Elle utilise de l’énergie renouvelable (hydroélectricité, éolien, photovoltaïque) pour obtenir l’hydrogène « vert » par électrolyse de l’eau, ce qui permet de remplacer le gaz naturel. Son plus gros projet est en Norvège, où une usine d’hydrogène renouvelable a été inaugurée en juin 2024.

Le groupe fabrique aussi des engrais « bleus » à partir de gaz naturel, mais avec un procédé de captage et séquestration de carbone (CCS). Yara a notamment un projet aux Pays-Bas pour 2026, dans une usine qui produit déjà de l’ammoniac. Le carbone libéré sera liquéfié et enfoui en profondeur en mer du Nord dans des poches de gaz vides. D’autres projets avec ce procédé CCS sont en discussion aux États-Unis.

Les deux technologies réduisent entre 80 et 90 % les émissions de carbone. Pour Michael Lepelley, directeur marketing de Yara France, les engrais bleus permettront un effet d’échelle. « Ils ont vocation à être intermédiaires entre l’engrais vert et l’engrais traditionnel, car on utilise toujours du gaz naturel tout en étant décarboné. Alors que la demande est attendue pour être exponentielle, cela permettra à l’agriculture européenne d’avoir accès à de l’ammoniac bas carbone moins cher. »

À ce jour, Yara a quatre contrats en Europe avec des acteurs de l’agroalimentaire : une coopérative suédoise, un meunier allemand, un malteur écossais et, depuis cette année, PepsiCo, notamment pour la production de pomme de terre pour ses marques de chips, dont Lay’s.

Des modèles de valorisation à trouver

C’est dans le cadre de l’accord avec PepsiCo que Yara a livré ses premiers engrais bas carbone en France en 2024, pour 100 hectares, soit cinq agriculteurs. « Depuis deux ans, les modèles de valorisation se cherchent », ajoute Michael Lepelley. Dans le schéma de PepsiCo, l’agriculteur ne paye pas plus cher son itinéraire cultural de la pomme de terre qui, au-delà des engrais décarbonés, intègre aussi l’utilisation de biostimulants ou d’outils d’aide à la décision.

Le prix de ces engrais est deux à quatre fois plus élevé que le prix des engrais traditionnels. « Il s’agit pour le moment de projets pilotes, explique Michael Lepelley. Cela nécessite des investissements dans des usines. C’est l’un des points bloquants, avec l’accès à l’électricité renouvelable en quantité et à un prix connu. »

Une difficulté aussi identifiée par la société FertigHy, fondée en 2023 par un consortium d’investisseurs européens, dont InVivo et Heineken, et consacrée à la production d’engrais bas carbone en Europe. Sa première usine sera implantée en France. « Le mix électrique français est un atout, il comprend du nucléaire qui répond aux enjeux d’une énergie bas carbone disponible 24 heures sur 24, et du renouvelable, justifie Axel de Bienassis, directeur du développement chez FertigHy. Le marché des engrais en France est par ailleurs important. »

La construction débutera en 2027, à Languevoisin-Quiquery, dans la Somme, à proximité du canal du Nord et du futur canal Seine Nord-Europe qui reliera la Seine et l’Escaut. « Cela nous permettra de distribuer les autres marchés français et européens avec une logistique fluviale », décrit Axel de Bienassis.

La mise en service de l’usine est prévue en 2030, avec une production de 500 000 tonnes d’engrais bas carbone par an, qui s’adressera d’abord au marché français. « Cela représente environ 8 % de la consommation d’azote française. Une production de cette nature sur le territoire sera bénéfique, alors que la majorité des engrais consommés en France sont importés et que nous sommes encore très dépendants de la Russie », analyse Axel de Bienassis.

Le coût du produit sera en grande partie lié à celui de l’électricité. « La sécurisation d’approvisionnements compétitifs sur le plan énergétique est un des défis », reconnaît-il. Pour lui, une partie du surcoût de ces engrais sera couvert par la demande créée en aval de la filière.

« Nous comptons aussi sur un écart de compétitivité réduit avec les engrais traditionnels qui feront l’objet d’une taxe à l’importation en Europe, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), poursuit-il. Aujourd’hui, la disponibilité en engrais bas carbone est très limitée, voire inexistante. Ce marché qui n’existe pas encore deviendra de plus en plus important. »

Laisser le choix aux agriculteurs

Dans le cadre de son programme Transitions, la coopérative Vivescia teste plusieurs leviers de décarbonation, dont des engrais bas carbone. Ceux-ci sont en partie fabriqués par l’entreprise espagnole Fertiberia, à partir d’énergie renouvelable et notamment photovoltaïque.

Financé par des acteurs de l’aval, Transitions rémunère les agriculteurs pour l’amélioration de leur bilan carbone par des primes filières allant de 100 à 150 €/ha. Les exploitants actionnent généralement plusieurs leviers : des couverts végétaux plus élaborés, le changement de forme d’engrais (liquide vers solide) et la réduction des doses, la modification d’assolement, des engrais organiques…

« Nos expérimentations ne montrent pas une meilleure efficience des engrais bas carbone par rapport à l’ammonitrate classique, à l’heure actuelle », rapporte Aurélien Fournaise, du service agronomique de Vivescia. Parmi la panoplie de leviers, ces produits restent onéreux : environ 100 à 150 €/t de plus que la forme solide classique, 200 €/t de plus qu’une solution azotée. « Dans le contexte agricole actuel, il n’est pas certain que les agriculteurs soient prêts à mettre 200 €/t de plus dans des engrais pour avancer dans ce sens-là », estime Aurélien Fournaise.

Par ailleurs, « ce n’est pas à l’aval de dicter aux agriculteurs ce qu’ils doivent faire, met en garde Armand Gandon, en charge de Transitions. Nous sommes vigilants au fait que les agriculteurs puissent choisir leurs leviers pour réduire leurs émissions, et qu’on ne rentre pas dans une nouvelle logique de cahier des charges qui leur imposerait des produits chers. Nous préférons une approche de boîte à outils dans laquelle on les laisse piocher. »

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement